Maillance : aligner profitabilité et réduction de l’empreinte carbone de l’industrie pétrolière et gazière grâce à l’IA
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“Le monde est entré dans une décennie critique pour faire advenir un système énergétique plus sûr, durable et aux coûts abordables – les perspectives d’accélération des progrès sont prodigieuses si des actions fortes sont engagées immédiatement”, indiquait l’Agence internationale de l’énergie dans son rapport de 2022.
Et parmi les actions à engager afin d’aligner la trajectoire du mix énergétique mondial avec la lutte contre le dérèglement climatique, il faut notamment pouvoir optimiser l’existant : “en attendant que la part provenant du pétrole et du gaz diminue, on peut réduire ses émissions, et nous rendons cet objectif de réduction compatible avec la profitabilité recherchée par les industriels”, expose Jean-Paul Dessap, CEO et fondateur de Maillance.
Ingénieur ayant étudié aux Etats-Unis puis travaillé pendant près de 21 ans sur des projets de R&D au sein de Schlumberger, multinationale leader en services pétroliers dans le monde, Jean-Paul Dessap a quitté ce grand groupe qui l’avait amené à travailler à Paris, Londres et aux Etats-Unis pour créer la start-up Maillance en décembre 2017 afin de répondre à un besoin du marché : “bâtir un cercle vertueux entre la réduction de la pollution et les dépenses des industriels”.
“Prise de sang du champ pétrolier”
Pour ce faire, il a bâti des algorithmes d’intelligence artificielle basés sur le “machine learning”, soit l’apprentissage profond, c’est-à-dire capables de réaliser des modèles prédictifs très poussés des sous-sols des champs pétroliers. “En mariant certaines équations de physique de l’écoulement des fluides dans des milieux poreux complexes avec du machine learning, on peut prédire le comportement du champ et permettre à l’industrie pétrolière d’explorer tous les scénarios possibles”, expose Jean-Paul Dessap.
Une innovation forte puisqu’elle permet de s’affranchir de “plusieurs mois passés à conduire des projets d’optimisation d’un champ pétrolier autour de quelques scénarios, et être capable grâce aux données disponibles qui constituent une sorte de prise de sang du champ pétrolier, de simuler plusieurs millions de scénarios en 24h. C’est un changement d’échelle conséquent”, souligne-t-il.
Réduction du risque et de l’empreinte
“Cette méthode permet de réduire le risque pour l’industriel, ce qui permet aussi de réduire ses coûts de production et d’exploitation, et donc de réduire l’empreinte carbone”. En effet, cet outil traite uniquement de la prédiction des comportements de champs pétroliers existants, et n’a pas vocation à s’appliquer à l’exploitation de nouveaux champs, qui généreraient une pollution supplémentaire.
Concrètement, la production peut ainsi augmenter de 20 à 100%, tandis que l’empreinte carbone diminue, par exemple en permettant la réduction de l’eau qui nécessite d’être injectée pour produire un baril de pétrole, avec un ratio potentiellement dix fois plus faible, passant pour certains sites de 200 barils d’eau à 20 pour produire l’équivalent d’un baril de pétrole.
Jumeau numérique
Pour bâtir cette solution, Jean-Paul Dessap a tout d’abord travaillé sur des données de forages en Amérique du Nord, où les données sont publiques, afin d’entraîner ses algorithmes, tous développés en interne.
A présent, “chaque client apporte sa donnée de production, par exemple sur un champ qui a des dizaines d’années d’existence, et on construit un jumeau numérique de ce champ afin de comprendre parfaitement son comportement passé et optimiser son comportement futur, ce qui permet de faire plus avec moins”.
Réduction du torchage de gaz
Si cette méthode de réduction de l’empreinte carbone est dite indirecte, puisque la réduction de la pollution est une conséquence de la réduction de la dépense, Maillance travaille également à une réduction directe de l’empreinte carbone, via la mesure et la réduction du flaring, c’est-à-dire du torchage du gaz, soit le fait de brûler l’excédent de gaz provenant d’un puits lorsque du pétrole en est extrait, une pratique émettrice de polluants comme le CO2 ou le méthane et qui persiste encore dans de nombreux sites en Russie, Iran, Irak ou dans le sud des Etats-Unis malgré son interdiction ou sa réglementation. “Si cette activité est mal réalisée, elle peut relâcher du méthane, dont l’effet de serre est 80 fois plus néfaste par rapport au CO2 sur une période de 20 ans”, indique Jean-Paul Dessap.
Ainsi, depuis 2020, Maillance a élaboré une technologie qui convertit en temps réel les images filmées par des caméras disposées sur les torchages en une quantité de CO2 et de méthane relâchée dans l’atmosphère.
“L’objectif est de réduire, voire d'annuler le torchage, puisque grâce aux prédictions obtenues, on peut actionner les leviers de production afin de ne pas dépasser le seuil au-delà duquel la production du gaz excédentaire est occasionnée lors de l’extraction du pétrole. Cette technologie de régulation porte sur un aspect qui représentait en 2022 l’équivalent de 500 mégatonnes de CO2 dans le monde, soit près de 10% de l’impact environnemental de l’industrie pétrolière et gazière, et qui peut être ramené à 0”, conclut-il.
Cette approche est plus précise que d’autres méthodes existantes, basées par exemple sur des mesures virtuelles provenant de l’utilisation d’images satellites et donc en basse résolution et à l’échelle d’un champ pétrolier, puisque cette technologie “effectue une mesure torche par torche”.
Cette innovation fait actuellement l’objet d’un test sur un site au Gabon sur 5 des 50 torches que compte un champ pétrolier, avant une possible généralisation. Le coût de l’installation est d’environ 200 dollars par torche.
Une preuve de concept en santé
Pendant le Covid, Maillance est par ailleurs sorti de son cœur d’activité pour réaliser avec succès une preuve de concept dans le monde de la santé, en l’occurrence dans la ventilation artificielle, dans un contexte où les intubations en réanimation étaient importantes.
“Sous certains aspects, le sous-sol se comporte de manière similaire au corps humain”, sourit Jean-Paul Dessap. “‘Nous avons entraîné une IA sur les données médicales existantes afin là aussi d’effectuer une prédiction des conditions d’intubation idéales adaptées à chaque profil de patient”. Une innovation dans un contexte où “la réponse du corps humain à l’intubation n’est pas toujours aisément prévisible, et où le médecin bénéficiérait d’un outil prédictif, notamment dans des situations de crise”. Ce travail a fait partie d’un projet plus large pour lequel l’AP-HP est depuis en recherche d’investissements pour construire un système d’appareillage avec plusieurs partenaires.
“Le temps de l’innovation dans le monde de la santé se compte en décennies et non en années, et nécessite des investissements d’une autre dimension”, pointe Jean-Paul Dessap.
Changer d’échelle
Maillance repose sur une équipe permanente qui a fluctué entre 5 et 12 personnes, et a fait l’objet d’un accompagnement par le Village by Crédit Agricole, entité parisienne du plus grand réseau d’incubateurs d’Europe, entre 2019 et 2022, année où l’entreprise a connu une importante poussée commerciale. Elle a réalisé des levées de fonds dont le montant n’a pas été communiqué, et indique avoir engagé depuis sa création des dépenses allant de 6 à 8 millions d’euros.
Après avoir investi l’équivalent de 50 années-personne en R&D pour développer ses technologies testées sur les cinq continents, elle souhaite à présent changer d’échelle et les déployer en masse sur le marché, et s’emploie donc à “lever des fonds et signer plusieurs partenariats avec de grands groupes”.
A date, sa clientèle est composée de grandes sociétés nationales pétrolières du Moyen-Orient, de nombreux petits opérateurs pétroliers, aux Etats-Unis comme en Asie, en passant par l’Afrique et l’Europe.
Au total, Maillance prévoit de développer sa technologie dans une cinquantaine de champs pétroliers d’ici fin 2026.
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